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le couloir
« Je propose le terme de “vita activa” pour désigner trois activités humaines fondamentales : le travail, l’œuvre et l’action. Elles sont
fondamentales parce que chacune d’elles correspond aux conditions de base dans lesquelles la vie sur terre est donnée à
l’homme.
Le travail est l’activité qui correspond au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme et
éventuellement la corruption, sont liés aux productions élémentaires dont le travail nourrit ce processus vital. La condition humaine
du travail est la vie elle-même.
L’œuvre est l’activité qui correspond à la non-naturalité de l’existence humaine, qui n’est pas incrustée dans l’espace et dont la
mortalité n’est pas compensée par l’éternel retour cyclique de l’espèce. L’œuvre fournit un monde « artificiel » d’objets, nettement
différent de tout milieu naturel. C’est à l’intérieur de ses frontières que se loge chacune des vies individuelles, alors que ce monde
lui-même est destiné à leur survivre et à les transcender toutes. La condition humaine de l’œuvre est l’appartenance au monde.
L’action, la seule activité qui mette directement en rapport les hommes, sans l’intermédiaire des objets ni de la matière, correspond
à la condition humaine de la pluralité, au fait que ce sont des hommes et non pas l’homme qui vivent sur terre et habitent le
monde. »
Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt,
Extrait du chapitre premier
La révolution industrielle marque pour l’homme le paroxysme de sa capacité créatrice, de sa faculté à créer des matières synthétiques
issues de son génie propre et par là même exclues de ce que l’on pourrait appeler le cycle naturel, auquel nous, êtres humains,
appartenons. Cette production de masse déclenche, par les grandes quantités de matières naturelles qu’elle réclame, de nombreux
déséquilibres. La filière textile est largement concernée par ce constat.
Ma réflexion sur ce cycle naturel a été nourrie par la Condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt, et du premier chapitre en
particulier.
L’activité du processus biologique d’un organisme vivant, l’homme, auquel Arendt donne trois temps distincts : ‘la croissance
spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption’, compose donc ce « cycle de vie » auquel sont soumis tous les
organismes vivants de notre planète. La plus grande « œuvre » de l’homme est de se soustraire, lui et son environnement, à ce travail, à
ce cycle.
Mon ambition durant ce Grand Projet, consacré à une collection textile pour l’habitat, a été de donner au textile une activité, un
équivalent de processus biologique propre en l’inscrivant dans un processus cyclique. Pour garantir le renouvellement perpétuel de la
matière textile, j’ai dû m’attacher à deux paramètres principaux, garants de cette circulation : la localité et la biodégradabilité.
En délocalisant et en éclatant progressivement chaque étape de production, l’industrie a bouleversé le renouvellement des matières
naturelles utiles à l’industrie textile. En interrompant la circulation de la matière, c’est-à-dire en se débarrassant d’une matière naturelle
dans un écosystème différent de celui où elle était créée, on empêche la pérennité du cycle. Ainsi, chaque zone de production
interrompt localement son cycle de vie naturel.
Afin de limiter au maximum les ruptures de circulation des différents composants de mon diplôme, j’ai utilisé exclusivement des
matériaux et des matières non seulement naturels bien sûr, mais également produits et transformés en France ou dans des pays
limitrophes, telles que la laine et ses dérivés (mohair, alpaga,…) ou des matières cellulosiques respectueuses de l’environnement (Lin,
chanvre, … ).
Le paramètre biodégradable découle « naturellement » de celui de la localité. À la manière d’un compost, les matières et matériaux
utilisés dans le cadre de mon diplôme sont à même d’être réassimilés dans leur environnement de consommation puisque celui-ci sera
le même qui les aura produit. Ainsi, ils permettront un renouvellement optimisé des ressources naturelles utiles à la production future
de ces mêmes matériaux.
Les teintures naturelles, sujet de mon mémoire, tiennent une place primordiale dans la réalisation de ce diplôme. Elles assurent un
processus de coloration respectueux de l’environnement, et garantissent par la même, l’utilisation de fibres uniquement
biodégradables car seules ces dernières sont sensibles à une coloration naturelle.
Des partenariats avec le CRITT Horticole de Rochefort, centre de recherche travaillant sur la mise au point de colorants et pigments
végétaux ainsi qu’avec Couleur Garance, un jardin conservatoire de plantes tinctoriales, m’ont permis d’utiliser des pigments et
colorants organiques français de qualité.
Michel Garcia, chercheur en chimie et botanique, spécialiste des colorants et pigments végétaux, m’a quant à lui apporté un soutien
technique. Il m’a ainsi aidé à mettre au point des procédés de colorations variés et stables.
Il s’agit également de mettre en évidence ce principe de circulation cyclique par un travail esthétique et graphique, directement sur les
matériaux.
J’ai conçu cette collection comme un rassemblement de matières qui évoluera naturellement dans le temps et qui révélera au fur et à
mesure de sa dégradation, de sa corruption, de nouveaux aspects visuels et tactiles en mettant en évidence la beauté esthétique d’un
textile qui vieillit. Le choix éthique de me limiter dans les variétés de fibres qu’offre le secteur textile, m’amène à mettre en valeur
chacune d’entre elles le plus possible.
J’ai dégagé pour cela trois processus principaux d’évolution de la matière : l’addition, la soustraction et la multiplication. Chacun de
ces processus s’appliquent seuls ou en combinaisons. De plus, ils agissent tous trois différemment sur les matières animales, végétales
et minérales.
Le lin et la laine sont les deux fibres majoritairement utilisées dans la collection, chacune de ces deux fibres peut être lavée, feutrée,
lustrée, grattée. Or, ces finitions peuvent évoluer en de nouvelles matières, a fortiori en les combinant avec un travail de teinture ou
d’impression. Ces trois processus de base vont me permettre de valoriser plastiquement le processus biologique auquel sont
normalement soumis les organismes vivants et de mettre en lumière la richesse des fibres et colorants naturels.
Car, encore une fois, de par leur richesse chromatique, les teintures naturelles participent au processus en révélant au fil du temps, de
nouvelles nuances, tonalités ou vibrations. Les textiles anciens de nos musées sont sans doute le meilleur témoignage de cette
« esthétique du temps ».
Afin de mettre en valeur chaque étape de ce cycle, cette collection est conçue pour se déployer dans un espace privé qui combinerait
lieu de vie et lieu de travail. Le salon, la salle à manger, la chambre, le couloir et le bureau en seraient les pièces principales.
Prolonged colour a été réalisé grâce au partenariat et au soutien de :
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une synergie française
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